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Mis à jour le mardi 13 mai 2025 , par Philippe Thibault

RT Flash est un site de veille scientifique.

C’est une lettre gratuite hebdomadaire créée en 1998, par René Trégouët, Sénateur, rapporteur de la Recherche et Président/fondateur du Groupe de Prospective du Sénat. Elle fournit une vision synthétique des derniers résultats de la recherche fondamentale et appliquée, l’échelle gloable, au sein de l’ensemble des sciences dures (TIC, biologie, matériaux, espace, énergie..).

Pour vous donner un avant-goût de ce qui vous attend si vous vous inscrivez à cette newsletter, voici le contenu de son dernier édito datant du 25 avril 2025 : "De la matière à la vie : les frontières se brouillent... "

En 2014, des chercheurs de Cambridge, dirigés par Markus Ralser, ont eu la grande surprise de découvrir fortuitement que certaines réactions chimiques essentielles à la vie semblaient se produire spontanément. Dans des expériences de contrôle dans lesquelles certaines des molécules nécessaires aux réactions chimiques n’étaient pas présentes, certaines parties du processus de la glycolyse se produisaient quand même (Voir National Geographic). Cette découverte a fait l’effet d’un coup de tonnerre au sein de la communauté scientifique car elle montre que des processus métaboliques spontanés auraient pu s’enclencher et favoriser l’apparition de la vie, avant même l’apparition des premières molécules d’ARN.

Il y a un an, une autre étude de l’université de Bristol a montré, grâce à l’analyse comparative de 700 bactéries et à un puissant modèle mathématique capable d’analyser le rythme des mutations génétiques, que le tout premier organisme vivant apparu sur Terre, et baptisé “LUCA” (Premier Ancêtre Commun Universel), est apparu il y a 4,2 milliards d’années, soit 400 millions d’années plus tôt qu’on ne le pensait et seulement 300 millions d’années après l’apparition de notre Terre... (Voir Science).

Mais il y en a plus. Cette étude montre que LUCA était un organisme déjà étonnement complexe. Il s’agissait très probablement d’un organisme thermophile, apparu à proximité de sources chaudes sous-marines, déjà parfaitement adapté au milieu anaérobique de l’époque, et capable de tirer son énergie à partir du CO2 et de l’hydrogène ambiant. Son génome lui permettait de produire pas moins de 2600 protéines et il était doté d’un système immunitaire pour se défendre contre les virus. Le fait que LUCA ait pu apparaître et se complexifier aussi rapidement après la naissance de la Terre, dans des conditions qui n’étaient guère propices à la vie, conforte l’hypothèse que la vie pourrait être relativement répandue dans l’Univers, à commencer par notre galaxie qui compte au moins 100 milliards de planètes, dont 500 millions seraient potentiellement favorables au développement de la vie...

Mais ailleurs dans l’Univers, la vie est peut-être apparue par des voies bien différentes que celles que nous connaissons. Pour prendre en compte cette hypothèse, Stuart Bartlett, scientifique spécialiste de la complexité à Caltech, et Michael L. Wong, astrobiologiste de l’université de Washington, ont développé en 2020 une nouvelle conception très intéressante de la vie, qu’ils ont appelée lyfe. Dans cette approche qui tente d’intégrer les lois de la physique et de la thermodynamique, ils proposent quatre critères fondamentaux pour déterminer ce qu’est un organisme vivant : la dissipation (capacité à exploiter et à convertir des sources d’énergie externes), l’auto catalyse (capacité à se développer), l’homéostasie (capacité à se réguler et à maintenir son équilibre, face à des modifications de l’environnement), et enfin l’apprentissage (capacité de mémoriser, traiter et réaliser des actions basées sur des informations) (Voir MDPI).

Pour les physiciens, il y a plusieurs différences majeures entre les êtres vivants et les agrégats d’atomes de carbone inanimés. L’une d’entre elles concerne l’efficience énergétique. Les organismes vivants sont capables d’extraire et d’utiliser l’énergie issue de leur environnement, avec une efficacité inégalée. Ils savent également dissiper cette énergie sous forme de chaleur. Le grand physicien belgo-russe Ilya Prigogine (Nobel de chimie en 1977) a en effet démontré, en 1969, le rôle-clé d’un nouveau type de structures ordonnées, qu’il a baptisées "structures dissipatives". Ces structures, très présentes dans les systèmes vivants, se forment loin de l’équilibre thermodynamique et se maintiennent uniquement s’il y a échange et dissipation d’énergie dans l’environnement. Elles peuvent faire surgir de l’ordre et des processus d’auto-organisation à partir de l’entropie d’un système.

En 2014, Le Professeur Jeremy England, un physicien du MIT, a proposé l’idée audacieuse selon laquelle la vie existe parce que la loi de l’entropie croissante pousse la matière à acquérir des propriétés physiques favorisant la vie (Voir Quanta magazine). Selon lui, lorsqu’un ensemble d’atomes est soumis à une source d’énergie externe suffisante et continue (comme le soleil ou des carburants chimiques), il se restructure progressivement afin de dissiper de plus en plus d’énergie. De ce fait, dans certaines conditions, la matière acquiert inexorablement les propriétés du vivant. Jeremy England précise bien cependant qu’il ne remet pas en cause la théorie darwinienne de l’évolution par la sélection naturelle. Il propose de considérer que cette géniale théorie est un cas particulier dans un cadre plus vaste et diversifié. Pour tester sa théorie, le Professeur England a eu recours à des simulations informatiques pour modéliser des environnements complexes caractérisés par différents niveaux d’énergie.

Ces simulations ont montré que certaines réactions chimiques influencent la distribution de la chaleur. Il en résulte que certains systèmes se réorganisent spontanément en structures plus complexes, car ils utilisent l’énergie disponible de manière plus efficace pour s’adapter à leur environnement et redistribuer la chaleur de manière optimale. Selon ces recherches, le principe de Carnot-Clausius, ou principe d’entropie, semble donc être l’un des moteurs de la vie et de son évolution.

Dans sa théorie, Jeremy England s’appuie, comme Prigogine, sur le deuxième principe de la thermodynamique (principe de Carnot-Clausius) qui prévoit, pour les systèmes fermés, que le désordre, ou entropie, ne peut que croître, jamais diminuer, pour finalement arriver à un état d’entropie maximale appelée "équilibre thermodynamique" dont l’énergie est répartie uniformément. Le Professeur England s’inspire également du célèbre essai « Qu’est-ce que la vie ? », écrit en 1944 par le grand physicien autrichien Erwin Schrödinger. Celui-ci avait montré que tous les êtres vivants parviennent à maintenir leur structure en contenant leur entropie par une utilisation très efficace de l’énergie. Mais en contrepartie, cette réduction de l’entropie interne se paye par une dissipation de l’énergie dans l’environnement et un accroissement de l’entropie globale de l’Univers. Le Professeur England propose de généraliser la seconde loi de la thermodynamique et rejoint l’approche physique globale proposée par Bartlett et Wong, avec leur concept lyfe. Le point commun de tous ces scientifiques est la volonté d’élargir notre conception du vivant et de conforter l’idée d’un continuum d’action, d’une cohérence constructive, entre matière et vie, sans pour autant nier la différence de nature et de complexité d’organisation entre physique et biologie...

On peut également constater que, depuis quelques années, les biologistes admettent enfin (après avoir été longtemps sceptiques) l’importance considérable et longtemps sous-estimée des forces mécaniques, et donc physiques, par essence, dans la détermination des structures cellulaires, leur organisation et leur évolution, y compris l’expression des gènes. Restés longtemps occultés par les réactions chimiques qui caractérisent le vivant, ces phénomènes mécaniques jouent un rôle essentiel en biologie et la mécanobiologie est aujourd’hui une nouvelle discipline en plein essor. Il est vrai que les chercheurs disposent à présent d’outils extraordinaires, comme les microscopes à force atomique (AFM), capables de mesurer la rigidité de la membrane d’une cellule. Le microscope des forces de traction (TFM) peut également mesurer les forces qu’exerce une cellule, sur son environnement immédiat, lorsqu’elle se déplace. Grâce à ces nouveaux outils, on sait que les cellules sont non seulement très sensibles aux forces mécaniques mais peuvent également elles-mêmes en produire pour véhiculer des informations. Le chercheur Nicolas Minc, biophysicien à l’Institut Jacques Monod, a développé avec son équipe plusieurs procédés qui ont fait avancer à grands pas la mécanobiologie. C’est notamment le cas de la mécanotransduction, le phénomène par lequel les cellules peuvent détecter les forces et les contraintes mécaniques extérieures, puis les traduire en signaux biochimiques et génétiques. Au-delà de leur intérêt théorique, ces recherches ont également permis de mieux comprendre comment certains cancers utilisaient, au niveau cellulaire, ces forces mécaniques pour se propager.

L’équipe de Jean-Léon Maître, Directeur de recherche au CNRS, à l’unité Génétique et biologie du développement, étudie pour sa part le développement des embryons de mammifères, principalement chez l’humain et la souris. Ces chercheurs ont constaté que les changements de forme de l’embryon viennent principalement de forces mécaniques et ils ont également découvert que ces forces peuvent être traduites en réponse chimique, qui va ensuite participer à l’expression des gènes.

De son côté, Yves Rémond, Professeur émérite des universités à l’Ecole de Chimie Polymères et Matériaux (ECPM) de Strasbourg, a mis en lumière l’importance des contraintes et forces mécaniques pour les cellules cancéreuses qui doivent évoluer dans des milieux très denses et se déformer en permanence. Ce chercheur a découvert que les cellules malignes forment des métastases en se déplaçant selon une vitesse et une direction qui changent en fonction de la rigidité des surfaces biologiques sur lesquelles elles évoluent. Pour Yves Rémond, une nouvelle voie thérapeutique serait d’arriver à rigidifier les noyaux de ces cellules, malades, ce qui rendrait beaucoup plus difficile leur propension à métastaser.

En 2006, l’équipe de Dennis Discher, de l’université de Pennsylvanie, a montré que les cellules sont capables de changer de nature en fonction du substrat sur lequel elles prolifèrent. Ces chercheurs ont découvert que les cellules souches se différencient en neurones sur un support mou. En revanche, sur un support dur, elles se transforment en cellules osseuses. Le plus étonnant est que cette différenciation s’effectue sans modifier la composition chimique du milieu de culture. A la lumière de cette découverte assez incroyable, il n’est pas exagéré de dire que les cellules semblent avoir, mutatis mutandis, le sens du toucher. Ces travaux s’inspirent de ceux de Donald Ingber, considéré comme le fondateur de la mécanobiologie. En 1997, Ce grand scientifique, de l’université d’Harvard, avait contraint des cellules au suicide, en les fixant à des surfaces de plus en plus petites. Comme le souligne le biophysicien Benoît Ladoux, de l’Institut Jacques Monod, « Nous savons à présent que la cellule sent véritablement le substrat. En fonction de ce dernier, son squelette interne se réorganise, et cela va jusqu’au noyau, même si nous sommes loin d’avoir compris toutes les interactions en œuvre ».

Je voudrais enfin évoquer une dernière étude chinoise, publiée il y a quelques mois. Des chercheurs de l’université de Shanghai ont montré que les photons infrarouges produits à l’intérieur du cerveau pourraient se retrouver piégés dans de minuscules cavités présentes le long de la gaine de myéline, ce qui rendrait possible une intrication quantique de ces photons, qui pourraient alors agir à distance instantanément sur d’autres régions du cerveau et accélérer considérablement la vitesse de synchronisation des neurones (Voir APS).

A la lumière de ces découvertes et avancées récentes, on voit donc émerger une nouvelle conception de la vie, à la fois plus vaste, plus riche et plus profonde, qui intègre une dimension physique irréductible, allant de la physique quantique à la mécanique, en passant par la thermodynamique et la cosmologie, avec la formation spontanée, contre toute attente, de grandes quantités de molécules organiques complexes dans certaines régions du cosmos pourtant bien peu propices à la vie. Et si la vie n’est pas entièrement déductible de la matière, et reste imprévisible, dans son apparition comme dans son évolution, il semble bien qu’elle soit inscrite en filigrane dans les lois physiques fondamentales, non comme un aboutissement inévitable, mais comme un surgissement probable pouvant emprunter, en fonction de l’environnement, une multitude de voies permises par l’ensemble des lois de la nature. S’il en est ainsi, il ne fait nul doute que nous finirons par détecter des formes de vie, sans doute très différentes de celles que nous connaissons, ailleurs que sur la Terre, peut-être même, qui sait, dans notre système solaire, dans le sous-sol martien ou dans les profondeurs océaniques de certaines lunes de Saturne et Jupiter, Titan, Europe et Encelade notamment, où semblent réunies des conditions thermiques, chimiques et physiques très particulières qui ont peut-être pu permettre l’émergence de formes de vie...

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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